Forum débat (Beur FM) : Le Rap,une révolution culturelle ou une arnaque capitaliste ?

Intervenants: Mc Jean Gab1, Mathias Cardet, Rost, Fiks

L’effroyable imposture du rap, Mathias Cardet
Editions Blanche / Kontre Kulture (2013)

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Mathias Cardet (l’auteur utilise un pseudonyme) a débuté dans le monde littéraire en publiant fin 2011 chez Hugo et Cie un récit autobiographique surfant quelque peu sur la mode du hooliganisme et des gangs ethniques : Hooliblack. Je n’ai pas lu cet ouvrage au titre commercialement tapageur. Ayant écouté une ou deux interviews de l’intéressé, j’avais néanmoins trouvé certains de ses propos intéressants, notamment concernant la réappropriation du corps par la violence physique, mais je ne voyais en lui qu’un Noir de service de la nouvelle extrême-droite soralo-dieudonniste. Puis je me suis rendu compte que Mathias Cardet a une véritable connaissance du rap, ce qui nous amène à ma chronique.

Je précise d’entrée de jeu que L’effroyable imposture du rap m’a été gracieusement offert, ce dont je remercie Mathias Cardet. Je ne me sens nullement obligé de lui renvoyer l’ascenseur en écrivant une critique élogieuse, mais je note tout de même que ses motivations ne semblent pas financières. Ma gratitude se borne à tâcher de rédiger une critique la plus objective possible de l’ouvrage.

Pour commencer, Cardet n’est pas un grand écrivain. Sa plume est concise, précise, parfois malhabile, mais guère flamboyante. Quelques néologismes malheureux (« débaiser »), quelques tournures de phrase maladroites, quelques oublis typographiques sont à regretter, ainsi qu’un excès de termes anglais parfois traduisibles. Le lecteur sait donc dès le départ que le fond prime sur la forme, le message sur l’esthétique.

L’effroyable imposture du rap est publié par les éditions Blanche et Kontre Kulture, la maison d’édition d’Alain Soral. L’influence de Soral est effectivement flagrante dans ce livre, autant dans les idées que dans la manière de les exprimer. Honnêtement, en lisant L’effroyable imposture du rap, j’ai reçu la même claque que quand j’avais lu Misères du désir en 2004. La même jubilation mi-dégoûtée, mi-soulagée de voir une vérité honteuse révélée au grand public.

Contrairement à ce que laisse penser son titre tapageur (l’auteur avoue qu’il ne l’a pas choisi lui-même), L’effroyable imposture du rap n’est pas un pamphlet mais un essai, une démonstration solide menée de main de maître, très bien construite et articulée. En fait c’est le travail d’analyse sociologique qu’un journaliste musical digne de ce nom, ou même un professeur de musique contemporaine sérieux aurait dû publier depuis au moins une quinzaine d’années (soit depuis la popularisation massive du rap en France par le biais de la radio Skyrock de Pierre Bellanger).

Mathias Cardet étant d’origine camerounaise et ayant été lié par des membres de sa famille à un gang ethnique, a la chance d’incarner parfaitement le type crédible (je parle de cette « crédibilité de rue » si chère au rap) pour aborder le sujet du rap : en gros, il est Noir, proche de voyous ou ex-voyous de rue, et auditeur de rap de son propre aveu. Ainsi, personne ne pourra contester l’authenticité du messager, qui aurait directement été mise en doute si l’auteur avait été un Blanc universitaire issu des classes moyennes ou supérieures. Mais passons.

Sincèrement, ne connaissant pas Mathias Cardet personnellement, je m’attendais à ce que son livre soit un condensé d’anecdotes, de rumeurs plus ou moins véridiques sur les liens étroits entre tel rappeur français et tel acteur du showbiz, bref un genre de pamphlet avec des attaques ad hominem contre les principaux acteurs de la scène rap française (La Fouine, Booba, Rohff, NTM et cie). Le premier prototype de couverture semblait d’ailleurs indiquer cette direction. En réalité, L’effroyable imposture du rap parle très peu (trop peu?) du rap français : tout au plus quelques pages sur près de deux cent. Le livre s’attelle à retracer l’histoire de la mouvance hip hop afro-américaine depuis les années 60, des Black Panthers à Tupac et Dr Dre en passant par la blaxploitation. Beaucoup de patronymes, beaucoup de chiffres de vente sont cités, sans source vérifiable. Il serait de toute façon difficile de retenir tous ces noms et de les retrouver un par un. Cependant je ne doute pas de la véracité des propos, car ils confirment les liens de la mouvance hip hop avec des financiers d’origine juive et la bourgeoisie bohème américaine (puis française). Grosso modo et sans vouloir paraphraser le livre, Cardet démontre que le phénomène rap est monté en épingle pour véhiculer la propagande libérale-libertaire auprès du public-cible des minorités ethniques. Démonstration brillante et efficace, qui atteint son but.

Comme un verre d’alcool fort, L’effroyable imposture du rap s’avale d’une traite. La violence de l’impact se précise vers les dernières pages, dont je vais reproduire certains passages qui m’ont le plus frappé. Violence de l’impact, car les coups que le libéralisme a porté à la Civilisation en se servant de la sous-culture rap comme arme ont été tellement durs qu’elle va avoir du mal à s’en relever…

Pour conclure, L’effroyable imposture du rap est une excellente démonstration sociologique et politique sur l’instrumentalisation du rap par les agents de la propagande libérale. Je regrette que l’auteur n’ait pas mené le même travail de recherche sur l’industrie du disque française, en abordant notamment la question de Skyrock (Pierre Bellanger ; Fred Musa, sa concubine Sarah Lelouch et leur maison de production commune Watch’us ; David « Difool » Massard), d’Hostile Records (sous-label d’EMI), d’Olivier Cachin (affilié au défunt député communiste Marcel Cachin), de la presse musicale et des médias complaisants. Il manque également à mon sens une analyse poussée de la spécificité franco-maghrébine de l’islam dans le rap, ainsi que de l’influence de la langue arabe. Bref, un ouvrage percutant et indispensable, mais qui reste la première pierre d’un édifice à construire.

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